Libération 29 Novembre 2005
Remake de la loi anticasseurs de 1970, refonte des lois sur les stupéfiants et sur les délinquants, le gouvernement durcit le ton après les émeutes.
La droite dégaine sa rengaine sécuritaire
par Emmanuel DAVIDENKOFF, Dominique SIMONNOT, Jacky DURAND et Matthieu ECOIFFIER
QUOTIDIEN : mardi 29 novembre 2005
Cela rappellera à certains de vieux souvenirs... Pour lutter contre «les violences en groupe», Nicolas Sarkozy prépare un remake de la «loi anticasseurs» votée en 1970, pour réprimer les manifestations de l'après-Mai 1968. Selon l'entourage de Sarkozy, «après trois semaines de violences urbaines, la classe politique et l'opinion sont prêtes».
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Retour dans les années 70. En vertu de la loi anticasseurs, des gens attrapés au hasard de manifs, pour le seul fait de s'être trouvés là, furent condamnés. Un magasin pillé ? Une vitrine cassée ? Des affrontements avec la police lors de distributions de tracts ? Peu importait qui, il suffisait d'être à proximité.
Les arrestations, les condamnations pleuvent indistinctement, même si la riposte s'organise entre avocats, magistrats du jeune Syndicat de la magistrature, intellectuels et militants. Cette «responsabilité collective» heurte de plein fouet un principe du droit pénal, selon lequel chacun est responsable de ses propres actes et pas de ceux de son voisin, sauf au risque d'injustices flagrantes.
«Armes». Hier, pourtant, au ministère de l'Intérieur, on disait : «Nous avons connu par le passé, dans notre droit, cette responsabilité collective. Aujourd'hui, la question se pose en matière de violences urbaines, nous y réfléchissons en examinant différents cas de figure, celles des violences graves ou avec armes. Nous devons adapter la riposte en fonction de l'attaque tout en maintenant le champ des libertés publiques. Pour le moment, c'est un chantier, mais le débat mérite d'être posé devant le Parlement.» Hier, Nicolas Sarkozy a aussi annoncé aux préfets la relance de deux dossiers (retoqués lors de son premier séjour au ministère de l'Intérieur) : son projet de loi sur la prévention de la délinquance et la réforme de la loi de 1970 sur les stupéfiants. Des textes très critiqués à l'époque pour leur approche sécuritaire. Il songe aussi à revenir sur «l'ordonnance de 1945» sur les mineurs, assénant : «Les mineurs de 1945 ne sont pas ceux de 2005.» Mais l'ordonnance de 1945 n'a déjà plus de «1945» que le nom, tant elle a été réformée et durcie ces dernières années, notamment en 2001, 2002, 2004 et... 2005. Au ministère de la Justice, dont tout de même dépend le traitement de la délinquance juvénile, on assure que Pascal Clément «a le dossier en mains, et fera connaître en temps utile des options».
Devant les préfets, le ministère de l'Intérieur a détaillé son plan de prévention de la délinquance appliqué aux bancs de l'école. En matière d'éducation, Sarkozy se nourrit à tous les râteliers. A la gauche, il emprunte une relative confiance dans les vertus du «collège unique» qui doit offrir «des apprentissages différenciés, adaptés, voire manuels bien sûr en même temps que tous les autres savoirs fondamentaux». Mais «il ne faut pas exclure les jeunes trop tôt du circuit général». Une pierre dans le jardin de Villepin-Robien et leur projet d'«apprentissage à 14 ans». Il souhaite aussi le recours aux «classes-relais pour les jeunes en rupture dans les quartiers sensibles». Inventées par la gauche et développées par la droite, ces structures tentent avec un succès mitigé de remettre dans le droit chemin scolaire des collégiens en instance de rupture. A la droite, Sarkozy reprend l'idée de taper au portefeuille les parents via les caisses d'allocations familiales en réclamant plus de fermeté dans l'application du code de la sécurité sociale, qui prévoit «l'obligation de présentation d'un certificat de scolarité (...) comme condition de versement des prestations».
«Logique policière». Au chapitre de la lutte contre le trafic de stupéfiants, Sarkozy ressort de ses cartons ses propositions de réforme de la loi de 1970, élaborées en 2003 par sa Mission de lutte antidrogue (Milad). Pour lutter contre les trafiquants de shit, il s'attaque aux clients. Et ce, en remplaçant les peines de prison «pour simple usage» par des contraventions de classe V (1 500 euros maximum et inscription au casier judiciaire pour charger les récidivistes). «Ces mesures obéissent à une logique exclusivement policière. Il s'agit de donner aux commissariats de quartier quelque chose de valorisant à faire : interroger un jeune arrêté avec une barrette de shit sur son revendeur. Car, pour les enquêtes de patrimoines sur les trafiquants, ils n'ont ni les moyens ni les compétences nécessaires», rappelle un expert. Le code pénal prévoit déjà la possibilité de suspendre le permis de conduire «pour une durée d'un an au plus et l'immobilisation pour six mois au maximum du véhicule». Ce chantier de réforme avait été abandonné par Matignon, en juillet 2004, après un bras de fer entre ministères répressifs et sanitaires. Ces derniers prônaient des amendes forfaitaires, faisant valoir qu'avec 100 000 interpellations pour usage par an, le seul résultat concret de cette réforme serait un engorgement des tribunaux de police.
Ce n'est pas tout : Dominique de Villepin doit annoncer aujourd'hui un projet de loi visant à rendre plus difficiles les «mariages arrangés» avec les étrangers.
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