http://www.humanite.presse.fr/journal/2003-06-11/2003-06-11-373718
*************************************************
Revenons à la question du voile et de l'école. Pourquoi vouloir chercher à investir l'un des derniers lieux qui préserve la construction et l'émancipation de soi des différentes ordres symboliques, idéologiques, politiques, économiques ? L'école est un lieu de construction et de déconstruction, d'interrogation des légitimités et des autorités en place. Bref, un endroit où l'on peut mettre en perspective ce qui a été appris ailleurs, chez soi et dans le monde, un lieu où neutralité rime avec exigence. De plus, cessons de nous voiler les yeux (à défaut d'autre chose) et ne traitons plus le voile comme un signe anodin de religion. Sur ce point je partage l'avis de Fethi Benslama. Traiter de la question du voile indépendamment du processus plus total auquel il participe, à savoir celui de l'exclusion de la femme hors de la sphère publique et de son statut d'inégalité par rapport à l'homme, est une opération intellectuelle malhonnête. Comme dans la majorité des religions, la femme et plus précisément le corps de la femme est pensé comme un interdit, comme ce qui met en péril la loi, donc la société des hommes, par ses possibilités de séduction. " Séduction-sédition " dit le psychanalyste. Seulement, même pour les fondamentalistes, il est difficile d'enfermer stricto sensu les femmes. Partant, l'astuce repose ici : dans le fait d'" inclure une exclusion " : les femmes ne pourront intégrer l'espace public que voilées, c'est-à-dire en portant le signe même de leur exclusion. Le voile devient une sorte de " véhicule " très pratique, mais en dernière instance il est une ruse et non un signe, un acte politique, et quiconque le choisit accepte de facto le statut théologique et politique de la femme dans la religion islamique.
Certes, on peut être sensible aux discours d'émancipation de certaines jeunes filles françaises d'origine maghrébine qui portent le voile. Seulement une question demeure, peut-être même une aporie. Ces jeunes filles qui portent le voile en France, qui le revendiquent haut et fort, le porteraient-elles dans les pays du Moyen-Orient, où il n'est plus permis de douter du statut réservé à la femme ? Certainement pas. Comment considérer, sans naïveté, comme libérateur ce qui est un symbole d'oppression pour 90 % des femmes qui sont obligées de le porter ? La France peut-elle fonctionner hors des références mondiales ? Dans un contexte mondialisé, où les images circulent, n'est-il pas irresponsable de penser ainsi ? Une nouvelle fois, comment justifier cette aporie ? Et puis, on peut aussi s'interroger sur l'universalité d'une définition de soi qui préfère à la neutralité de la personne humaine les critères d'une constitution identitaire sexuée.
Ne fuyons pas devant la question du foulard. L'école a toujours été le lieu où l'on fait face aux problèmes posés par l'élève, quels qu'ils soient. Cette question demeure donc, en dernière instance, une opportunité intellectuelle majeure, une chance pour chacun de réévaluer ses ordres symboliques et idéologiques et de questionner leur légitimité. Abordons donc la question de face, et non exclusivement en " biais " par une sanction " paniquée " qui esquive plus qu'elle ne traite les réels enjeux de compréhension. Je suis pour une loi, et une application de la loi, sans équivoque mais pas sans égards. Une nouvelle fois, il fait toujours bon de justifier le " juste ".